top of page
  • Yulia

Témoignage n°2: Aisha

Dernière mise à jour : 24 nov. 2022

Fort d’une histoire qui lui est propre, le cheveu crépu est souvent le mal aimé des textures capillaires.


Il a été moqué, dénigré, dénaturé, et encore actuellement, il est rare de voir des cheveux naturellement crépus arborés fièrement dans la rue. Depuis quelques années, le mouvement Nappy a pris place. Il nous a permis de voir apparaître sur le devant de la scène des textures bouclées, ondulées, frisées, et ces dernières sont de plus en plus normalisées. A tel point qu’elles sont devenues le « nouveau lisse » (cf. notre article « Nouveau standard »).


Aujourd’hui encore, les cheveux crépus ne sont pas considérés comme étant habituels. L’inconscient collectif leur fait porter mille et une significations… et ce même inconscient «oublie» de les valoriser à travers les différents moyens de représentation (médias, publicité, magazines, algorithme instagram et youtube, etc…).


Pour mieux comprendre les raisons, et les implications de cette absence médiatique et de ce dénigrement, nous avons interviewé Aisha, qui a depuis petite eu la chance de savoir ce que sa texture signifiait pour elle et ce que cette dernière miroitait de son héritage.


Quel est ton premier souvenir avec tes cheveux ? Les as-tu toujours eus naturels, et si non, que faisais-tu avant de les porter tel qu’ils sont ?


Oui, je les ai toujours portés naturels jusqu’à l’âge de 12 ans. Mais à 12 ans, une amie de ma mère a décidé de m’emmener chez le coiffeur et de me faire défriser. Ma mère n’était pas au courant de cette démarche.

Elle est contre le défrisage, depuis petite, elle me dit que ça fait partie des choses qu’il ne faut jamais s’infliger.

Enfant, je savais qu’il y avait des gens autour de moi qui se défrisaient les cheveux (Aisha est née au Nigéria) mais je n’ai jamais vu quelqu’un le faire devant moi. Dans ma famille nous étions du genre à nous faire des tresses ou des nattes. Je me souviens par contre que je pleurais souvent quand on me tressait ou qu’on me peignait, parce que j’ai le crâne très très sensible, encore aujourd’hui.


Est-ce que tu as compris ce qui se passait quand on t’a défrisé à 12 ans ?


Oui ! Je savais que j’allais avoir les cheveux lisses !


Savais-tu pourquoi est-ce qu'on te faisait défriser ?


J’ai les cheveux très très crépus, on peut me mettre de la crème, les peigner, quoiqu’il arrive, ils restent très rigides. Je pense que c’est pour ça que l’amie de ma mère s’est dit qu’il fallait les défriser.

C’était la première fois que je voyais la longueur de mes cheveux sans shrinkage (le shrinkage désigne le rétrécissement de la longueur des cheveux bouclés, frisés, crépus, en raison de leur forme en ressort). Avant ça, ma mère m’avait toujours dit que j’avais les cheveux longs, mais je n’avais jamais vu par moi-même en quoi consistait cette longueur.


Est-ce que tu étais contente du résultat quand tu es sortie de chez le coiffeur ?


J’étais contente… mais pas très contente à la fois, ahaha. Je savais que ma mère n’allait pas être heureuse, du coup j’avais cette appréhension.

Pour moi, l’avis de ma mère est très important. Certes j’étais satisfaite de voir à quoi ressemblait ma longueur, mais je voyais surtout que ma mère était contre cette pratique.


Petite, qu’est-ce que te disait ta mère concernant tes cheveux naturels ?


Elle m’a toujours dit que j’avais de très beaux cheveux, longs. Elle ne m’a jamais dit quoi que ce soit de négatif sur mes cheveux. J’ai appris à les aimer grâce à elle.

Je me rappelle que quand je suis arrivée en Suisse à l’âge de 5 ans, je voyais tout le monde avec des cheveux longs et raides, mais ça ne m’a jamais questionnée. Car je savais que j’étais d’origine africaine, et que les personnes qui m’entoureraient maintenant seraient majoritairement d’origine européenne. De ce fait, il était impossible que l'on ait la même texture de cheveux.

A l’école, je me rendais bien compte que l’on se moquait de moi à cause de mon apparence, mais ma mère m’avait préparée à ça. Je les voyais eux comme un problème, et non pas le contraire.


Quel a été l’impact des moqueries sur ton rapport à toi-même ?


Les moqueries ne m’ont jamais dérangé. Avec le recul, je me rends compte que le fait d’avoir cette figure maternelle qui elle-même arborait ses cheveux naturels sans jamais les dénigrer m’a permis d’apprécier mes propres cheveux.

Par contre, je me souviens que je voulais avoir ses cheveux à elle ! Elle a les cheveux de types 4A, là où moi je les ai de type 4C. Je voulais avoir les cheveux aussi doux que les siens. Avoir les mêmes baby hair par exemple.


Que te disaient les autres adultes de ton entourage concernant tes cheveux ?


Les gens du Nigéria que je rencontrais en Suisse me disaient tous que j’avais de beaux cheveux, longs. Mon père n’en parlait pas spécialement.

En parallèle de la sphère familiale, et de mon entourage direct, j’ai eu beaucoup de réflexions et de gestes déplacés concernant leur texture. On m’a déjà touché les cheveux sans me demander mon accord. On m’a déjà dit qu’avoir des cheveux comme les miens (comprendre crépus) devait être « chiant » à entretenir.

Je constate que l’on fait encore beaucoup de remarques déplacées aux personnes qui ont des cheveux crépus. Les gens se permettent trop souvent de porter un regard négatif ou exclamatif, sur ce qui ne les regardent en réalité pas.


Tu as beaucoup parlé de la longueur et de l’importance que celle-ci avait pour les personnes qui t’entouraient. Est-ce que tu as l’impression que pour que l’on considère que tu aies de beaux cheveux crépus, il faut avoir des cheveux longs ?


Je pense que c’est ça, oui, malheureusement. Tout le monde parle du mouvement Nappy, naturel and happy, mais quand on entend leurs discours, c’est la longueur qui est prioritaire. Pour moi un cheveu crépu est beau, qu’il soit long ou court, mais c’est vrai que la première chose que les gens complimentent c’est la longueur.

Pourquoi ne pourrait-on pas promouvoir également les femmes qui ont les cheveux crépus ET courts ??!


As-tu déjà rencontré des difficultés dans le monde du travail par rapport à tes cheveux ?


Je n’y ai jamais pensé… je sais qu’il y a des endroits où le fait de porter ses cheveux naturels posent problème, mais je me dis que ce n’est pas forcément le cas ici.


Est-ce que l’on te fait des compliments concernant tes cheveux ?


En dehors de ma famille ? Je suis assez mitigée. Je sais qu’on m’a déjà dit que mes cheveux étaient trop cool parce qu’ils me donnaient un air de Dragon Ball Z (rires).

Je ne sais pas trop, je constate qu’il y a une certaine instabilité des gens dans leurs compliments. Un jour ils disent que mes cheveux sont beaux crépus, mais le lendemain si j’arbore des tresses longues (avec rajouts) les mêmes personnes me disent que c’est mieux comme ça.


Est-ce que tu as l’impression que ce sont tous les types de cheveux qui se démocratisent, ou alors tu as la sensation que ce sont uniquement les cheveux ondulés/bouclés qui se normalisent ?


J’ai cette sensation oui. Quand on regarde les vidéos youtube par exemple, et leur nombre de vues respectives, ce sont les personnes qui arborent des cheveux ondulés et bouclés qui font le plus de vues. Tandis que les personnes qui portent leurs cheveux crépus, n’ont pas beaucoup de vues, ni d’exposition médiatique. A mon sens, il y a une forme d’hypocrisie concernant le mouvement Nappy.


Quels sont les conseils que tu donnerais à un enfant pour qu’il ait un meilleur rapport avec ses cheveux ?


On devrait expliquer aux enfants que l’on n’a pas tous les mêmes types de cheveux, et que nos origines jouent un rôle sur la texture que l’on va avoir. Il faudrait leur enseigner depuis tout petit à aimer leurs cheveux tel qu’ils sont.

Les parents devraient apprendre aux enfants que même s’ils sont sujets aux moqueries, ce sont les personnes qui les pointent du doigts qui posent problème, et non pas eux.

Un parent ne devrait jamais critiquer les cheveux de ses enfants, même quand il les brosse. Dans l’idéal, il ne faudrait dire que des choses positives concernant la texture de cheveux de son enfant.

Je sais que le fait de connaitre mon histoire, et ce pourquoi j’avais des cheveux crépus m’a permis de ne pas prêter attention à ce que les autres disaient de mon apparence. Connaitre mes origines, mon héritage m’a appris à comprendre ce que j’étais, et à l’apprécier.

Je pense que le fait d’aimer ses cheveux repose principalement sur l’éducation que l’on a reçue étant enfant.


Qu’est-ce que tu aurais envie de voir apparaître dans la sphère nappy ? Qu’est-ce qui pourrait pour toi mettre en valeur les cheveux crépus, et les voir être (enfin !) mis sur un pied d’égalité avec les autres textures de cheveux ?


Je pense qu’en tant que consommateur.ice.s, on devrait apprendre à promouvoir et à soutenir les personnes ayant notre type de cheveux. C’est comme si parfois on oubliait notre propre existence. Pourtant on fait des vidéos, on crée des produits, on entreprend. La grande majorité d’entre nous semble oublier que les personnes avec les cheveux crépus existent, et cherchent à s’adresser aux personnes qui leur ressemblent.


Toi qui as fait une école de commerce, qu’est-ce que tu pourrais conseiller à ces entrepreneur.euse.s afin qu’il.elle.s aient accès à plus d’exposition et touchent plus facilement leur cible ?


Peut-être faire des partenariats avec des marques plus grandes ? Proposer leur expertise et leur connaissance aux « big boss ».

Il y a Instagram aussi, mais c’est vrai que la difficulté majeure pour ces marques est d’être facile d’accès pour les consommateur.ice.s… il n’y pas de solution miracle je pense.


Un mot de la fin ?


Non, juste merci !!


Merci beaucoup à Aisha, qui s’est prêtée au jeu de l’interview, et qui a pris le temps de partager son expérience.


N’hésitez pas à partager cet article avec les personnes qui ont des cheveux crépus!


- Propos recueillis et retranscrits par YH -


,

1 commentaire
bottom of page